Guide rapide sur l’enrichissement illicite
Andrew Dornbierer, Asset Recovery Specialist, Basel Institute on Governance
Également disponible en : English, Español, Português
Ce guide rapide présente une brève introduction sur les lois en matière d’enrichissement illicite, qui se développe comme un outil performant de lutte contre la corruption et de recouvrement des avoirs volés. En juin 2021, il a été mis à jour à la suite de la publication, par le Basel Institute on Governance, de l’ouvrage en libre accès d’Andrew Dornbierer Illicit Enrichment: A Guide to Laws Targeting Unexplained Wealth.
Ce livre, qui est disponible gratuitement en ligne avec une base de données sur les lois du monde entier, présente des descriptions claires et des orientations pratiques sur les différentes approches pouvant être adoptées pour cibler les augmentations inexplicables de patrimoine, sur le mode de présentation des affaires soumises aux tribunaux et sur les recours judiciaires menaçant régulièrement les lois en matière d’enrichissement illicite.
Globalement, qu’est-ce que l’enrichissement illicite ?
La définition de l’enrichissement illicite peut varier considérablement d’une juridiction à l’autre.
Au niveau international, la Convention des Nations Unies contre la Corruption (CNUCC) définit l’enrichissement illicite comme « une augmentation substantielle du patrimoine d’un agent public que celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes ».
Cependant, au niveau d’un État, le champ d’application de la législation en matière d’enrichissement illicite peut légèrement diverger de l’article de la CNUCC. Par exemple, certaines lois s’appliquent aussi bien aux particuliers qu’aux agents publics. Certaines définitions tiennent également compte du train de vie trop élevé en plus d’un patrimoine disproportionné.
Certains États n’utilisent même pas la notion « d’enrichissement illicite ». Ils la remplacent par l’acquisition « d’une fortune inexpliquée ou de biens inexpliqués », ou ont recours à d’autres notions comme « l’enrichissement indu » ou « les gains illégaux ».
En prenant appui sur une vaste analyse des instruments internationaux, des lois nationales et de la jurisprudence du monde entier, l’ouvrage Illicit Enrichment: A Guide to Laws Targeting Unexplained Wealth déclare que l’enrichissement illicite peut, au sens large, être défini comme le fait de disposer d’un patrimoine dont le niveau n’est pas justifié par rapport à des revenus légitimes.
Pourquoi les lois sur l’enrichissement illicite sont-elles utiles dans les efforts déployés contre la corruption ?
Dans le contexte des mécanismes de recouvrement d’avoirs, les lois sur l’enrichissement illicite se singularisent particulièrement, dans la mesure où elles n’assujettissent pas le prononcé d’une sanction judiciaire à la présentation préalable de preuves sur une activité criminelle sous-jacente ou distincte. En effet, les tribunaux doivent simplement avoir l’assurance que l’enrichissement illicite a bel et bien eu lieu, c’est-à-dire qu’une personne a disposé d’une forme de patrimoine que les sources légitimes de ses revenus ne justifient pas.
Ces lois sont particulièrement utiles dans le cadre des enquêtes sur des faits de corruption.
Dans de nombreuses affaires, surtout dans les systèmes économiques où les opérations sont principalement réalisées en espèces et où des pots-de-vin d’un faible montant sont versés au fil du temps, il est presque impossible de prouver chaque acte individuel de corruption. Cela signifie qu’un grand nombre de fonctionnaires corrompus ne sont presque jamais poursuivis et peuvent conserver les biens acquis grâce à leur corruption.
En s’appuyant sur la législation en matière d’enrichissement illicite, les enquêteurs et les procureurs peuvent tout de même engager des poursuites contre des fonctionnaires corrompus, s’ils sont au moins à même d’identifier les résultats des actes de corruption, tels que l’achat d’une propriété onéreuse et d’autres biens de grande valeur, malgré des revenus modestes.
Est-ce une infraction ?
Bien que l’article 20 de la CNUCC recommande aux états de criminaliser l’enrichissement illicite, les différentes approches adoptées par rapport à cette notion varient considérablement. Certains pays n’ont pas de législation. Certains, comme le Mexique ou la Mongolie, ont prévu des infractions d’enrichissement illicite ciblant les agents publics tandis que d’autres, comme le Rwanda, ont adopté des infractions applicables à toutes les personnes physiques.
Dans d’autres pays, comme le Kenya ou l’île Maurice, la loi ne fait pas de l’enrichissement illicite une infraction pénale, mais ouvre la voie à une action civile. Cette approche signifie qu’une action en justice basée sur la législation de ces pays n’a pas but principal de poursuivre la personne qui s’est illicitement enrichie, mais simplement de restituer les biens mal acquis.
Le niveau d’application varie également. Par exemple, à Hong Kong, il y a déjà eu des affaires fructueuses dans les années 70 qui ont amené au recouvrement d’avoirs. En Tanzanie, les tribunaux viennent juste de commencer à se prononcer sur les premières poursuites judiciaires engagées pour enrichissement illicite.
Pourquoi tant de controverses ?
Des critiques affirment que les lois sur l’enrichissement illicite viennent porter atteinte aux droits légaux établis, dans la mesure où elles renversent injustement la charge de la preuve et suppriment la présomption d’innocence.
De la même manière, il est craint que les lois en matière d’enrichissement illicite risquent de porter atteinte au droit d’une personne au silence et à son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, qui sont deux principes juridiques faisant autorité, et dont le but est de garantir des procédures judiciaires équitables. Un débat supplémentaire porte sur le principe de non-rétroactivité, c’est-à-dire celui selon lequel une personne ne devrait pas être sanctionnée au titre d’un acte qui, au moment de sa commission, n’était pas qualifié d’infraction.
Cependant, la majeure partie des recours qui se sont appuyés sur ces motifs pour s’attaquer aux lois sur l’enrichissement illicite n’ont pas abouti, et presque tous les tribunaux ayant examiné ces questions ont estimé que les lois en matière d’enrichissement illicite n’entraînent pas de violation inadmissible des droits conférés par la loi.
Comment mène-t-on une enquête et une poursuite en matière d’enrichissement illicite ?
Dans la mesure où ce domaine du droit est relativement nouveau, l’élaboration de normes de procédure ou de bonnes pratiques est toujours en cours.
Les cas suspects d’enrichissement illicite se révèlent souvent dans le contexte d’autres enquêtes de corruption en cours. La piste initiale peut aussi venir d’articles de presse ou d’autres canaux habituels de renseignements.
Pour la plupart des affaires, une approche solide engloberait ce qui suit :
- une enquête financière minutieuse afin d’évaluer la quantité d’argent dont un individu a pu disposer au cours d’une période déterminée ;
- une comparaison entre ces revenus et les sommes d’argent dépensée pour l’acquisition de biens ou afin de maintenir un certain train de vie durant cette période.
L’objectif est de rassembler des preuves solides, et non des conjectures, afin que seuls les individus ayant clairement acquis leurs biens grâce à des sources non légales fassent l’objet d’une procédure judiciaire.
L’analyse des sources et applications des fonds est un outil clé pour les enquêteurs et les procureurs qui veulent prouver des affaires d’enrichissement illicite devant les tribunaux. L’Annexe II de l’ouvrage Illicit Enrichment présente des orientations déclinées en étapes sur le mode de réalisation de cette analyse. Le cours gratuit par e-learning sur l’analyse des sources et applications des fonds présente également un cas pratique concret qu’il convient d’étudier.
Existe-t-il des études de cas récentes ?
Une affaire gagnée par la Commission d’éthique et de lutte contre la corruption du Kenya contre Stanley Mombo Amuti, un ancien agent public de rang inférieur qui ne pouvait pas expliquer comment il a pu acheter des biens d’une valeur approximative de 400 000 USD sur une période de 10 mois, a créé un précédent sur l’utilisation de ce mécanisme.
L’Ouganda vient également d’obtenir gain de cause dans une affaire d’enrichissement illicite d’une valeur de 1,25 million USD impliquant un comptable du Bureau du Premier ministre. Des affaires peuvent éclater en haut lieu : l’ancien président du Salvador a récemment été déclaré coupable d’enrichissement illicite alors qu’il était encore au pouvoir.
Que fait le Basel Institute on Governance dans ce domaine ?
L’International Centre for Asset Recovery (ICAR) au Basel Institute on Governance collabore avec des pays partenaires afin de renforcer leurs capacités de recouvrement des avoirs volés et de lutter contre la corruption. Dans le cadre de ce vaste effort, dans certains pays, nous travaillons afin d’améliorer la connaissance des lois en matière d’enrichissement illicite et comment les appliquer effectivement et de manière responsable.
Pourquoi ? Car lorsque les lois sur l’enrichissement illicite sont rédigées et exécutées équitablement, elles peuvent représenter une arme redoutable dans la lutte contre la corruption.
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